• Last Falls (essai, version annotée) par D. H. T. - Chapitre 10: Univers sans issue

    © Terence DEN HOED, 2015.

     

    Chapitre 10: Univers sans issue (2014)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il ne peut y avoir de théorie unifiée de l’univers, car l’univers n’est pas unifié. Du moins, il ne peut y avoir de théorie unifiée valable au bout du compte[1]. Cette pensée ne réclame aucune compétence physique ni mathématique. C’est une question d’observation à la portée de tous. Quand on veut accéder à la connaissance, on se spécialise. Les généralités alimentent les hypothèses, à partir desquelles on s’intéresse plus avant à un domaine en particulier. A l’arrivée, la connaissance spécialisée, confrontée à d’autres connaissances, permet parfois de solliciter de nouveau les généralités de manière pertinente, d’établir ou de mettre à jour des connexions fonctionnelles entre deux domaines d’étude. Dans l’ensemble, chaque savant trouve de quoi s’occuper sur son propre terrain[2], et il en va ainsi de tous les métiers.

     

    Les réponses aux questions posées arrivent parfois de l’extérieur, mais l’identification d’un objet spécifique requiert toujours une attention et des méthodes spécifiques. Plus qu’une simple affirmation, l’énoncé de cette relation repose sur le constat d’un besoin intrinsèque, celui de s’assurer des limites propres à un objet donné. L’universalité de la pensée existe en revanche, celle qui s’appuie sur des arguments cohérents pour exprimer, vis-à-vis de tout domaine, ce qui va au-delà d’une simple opinion sans pour autant prétendre au statut de science: la maîtrise du discours[3].

     

    Cet univers dans lequel vivent ses observateurs, puisque la perspective incertaine sinon improbable d’observateurs extérieurs supposerait, expérimentalement, la possibilité de naviguer d’un univers à l’autre pour prouver leur réalité, est un univers sans issue, non seulement parce que les observateurs désignés n’ont pas trouvé le moyen de sortir physiquement de leur univers, mais aussi parce qu’ils se condamnent à en avoir une vision fragmentée[4], avec un nombre de passerelles limité entre les voies de spécialisation. Cette fragmentation étant définie par une absence de lien, cette absence empêche d’aller d’un savoir à l’autre là où elle a été attestée, et cet accès impossible équivaut à une impasse, d’où les termes d’univers sans issue. 

     

     

     

    Il faut imaginer sans peine à titre d’exemple, en s’inspirant directement de la marche du monde et de l’histoire de ses recherches, que certains scientifiques s’intéressent à ce qui est immensément grand, d’autres à ce qui est immensément petit[5], d’autres encore à une théorie qui pourrait convenir aux deux premières catégories. Cette troisième catégorie n’a pas lieu d’être. Tel est le propos ici. Par commodité illustrative, les membres de la première seront nommés les grands, les membres de la deuxième les petits, les membres de la troisième les unis.

     

    Les grands vivent dans une sphère où les objets tombent au sol quand on les lâche. Quand ils sautent eux-mêmes du haut d’un mur ou d’un arbre, ils amortissent d’une manière ou d’une autre, avec plus ou moins d’habileté, une chute inéluctable. Quand ils sautent du haut d’un immeuble ou d’une falaise, sans moyen d’atténuer le choc, ils s’écrasent sur un point de non-retour, où certains d’entre eux ont vu la porte de sortie leur permettant d’échapper à une vie trop pesante pour eux, comme si une limite visible pouvait déboucher sur un nouveau départ, comme si un nouveau départ pouvait coïncider avec sa propre absence. En même temps, ils savent toujours où et quand ils se trouvent, et peuvent mesurer la vitesse de leur atterrissage sans jamais perdre de vue leur localisation dans l’espace ni dans le temps. Ils se confrontent à des phénomènes d’une plus grande violence encore, quand leur peau brûle sous l’effet de cette boule aveuglante, excessivement chaude, qu’ils appellent leur soleil, leur étoile. Quand le vent et la mer se déchaînent, ils se retrouvent poussés, précipités, projetés, transpercés, écartelés, mutilés, déchirés. Ayant construit des engins pour explorer le ciel, ils ont découvert, au fond de la noirceur qui les absorbe encore, des manifestations naturelles aux effets encore plus brûlants que les astres, encore plus dévastateurs que les raz-de-marée.

     

    Ils ont réalisé que ces mouvements, dont ils ne savaient de prime abord s’ils s’apparentaient davantage à la pierre que l’on jette dans l’eau ou plutôt, au contraire, aux cercles qui se forment autour[6], présidaient d’une puissance mortelle à toutes les constellations, à toutes les galaxies. Ils ont finalement compris que le plus tranquille de ces mouvements, entre concrétude, distance, violation, répercussion et modification, ils ont finalement compris que la plus tranquille de ces forces, celle que l’on retrouvait absolument partout[7], elle était la même qui donnait une forme de boule à leur terre, la même qui les maintenait à la surface de cette planète. Aux antipodes de cette rondeur universelle, seule la droiture de la lumière, source de couleurs et de visibilité, bat tous les records de vitesse[8].

     

    Les petits évoluent dans une sphère où tout ce qui tourne essaie de rivaliser avec la lumière. Contrairement à la rondeur où vivent les grands, qui prend le temps de s’installer puis d’apprécier le cours des choses pour accueillir la lumière à ses extrémités les plus douces, et bien la rondeur où vivent les petits, elle, ne connaît jamais ni pause, ni repos, ni sommeil et se maintient toujours, sans éprouver la moindre fatigue apparente ni la moindre envie de contempler l’horizon, au maximum de ses performances, au paroxysme de sa course, si prompte à démontrer son zèle qu’il en émane une dureté incomparable. Quand les grands ont voulu briser cette dureté, l’explosion et ses conséquences ont causé plus de dégâts qu’ils n’en avaient jamais vus auparavant, au point où bon nombre d’entre eux périrent. Par la suite, ils apprirent à domestiquer, à leurs risques et périls, ce pouvoir que les petits leur avaient révélé.

     

    Quand les grands évoquaient l’horizontalité de la surface de l’eau au-dessus de la profondeur, ils parlaient toujours de l’eau immobile, car les grands aimaient ce calme qui leur permettait de distinguer les dispositions de la matière ainsi que, d’ailleurs, ses états, tour-à-tour densité tangible, porosité, fluidité ou évanescence. Quand les petits de l’eau ne distinguaient plus ni la profondeur, ni la surface, ni l’horizontalité, ni la verticalité, mais l’oblique fugace au sein d’un tourbillon naissant, ils se sentaient dans leur élément, à leur vraie place, soit la turbulence et l’indistinction. Les petits avaient bien mesuré la vitesse des déplacements au sein de leur pays, mais ils ne savaient jamais où se trouvait le coureur, sauf quand ils décidaient de perdre de vue la vitesse car, eux-mêmes pris dans la course, ils y contribuaient à un point tel qu’ils n’avaient le temps de garder un œil à la fois sur le sportif et sur le chronomètre[9]. Par-dessus tout, cette frénésie se révélait absolument incompatible avec la douceur relative des collines paisibles du pays des grands, dont les sommets arrondis semblaient avoir été sculptés par une caresse, en comparaison de la rondeur, pourtant parfaite, des collections de billes dont s’amusaient les petits dans le déchaînement d’une récréation. C’est pourquoi certains grands et petits se réunirent pour trouver ce qui pouvait les rapprocher. 

     

    Dans leur bureau d’études, les unis, grands et petits, se répartissaient entre deux fonctions, reconnaissables non à la taille des uns et des autres dans la mesure où il s’agissait de sphères plus que d’individus, mais au fait que, si les uns se distinguaient de leurs traces quand ils s’essuyaient les pieds sur le paillasson à l’entrée, quand ils affichaient à l’intention des nouveaux arrivants un large sourire de bienvenue dont le souvenir s’imprimait dans la mémoire de tous et survivait à sa propre disparition, quand ils faisaient apparaître leur ombre en allumant une lampe, les autres, pour leur part, incarnaient leurs propres traces tout en les éloignant, laissaient des empreintes sur le paillasson avant même de l’avoir touché, se montraient à la fois souriants et inexpressifs en alignant deux visages au lieu d’un, et se détachaient complètement de leur ombre qui apparaissait même dans l’absence de lumière.

     

    La fonction des premiers consistait à observer l’image multiple des seconds, à prendre des notes, à essayer de se constituer des repères stables face à leur extrême mobilité. La fonction des deuxièmes visait à tendre vers l’accomplissement des premiers, à imiter leurs postures et leurs gestes, à devenir comme eux. La transition entre les deux apparaîtrait dans la théorie et dans la pratique de ce devenir. C’était l’objectif de l’entreprise. Il n’était alors plus question de grands ni de petits chez les unis, mais d’observateurs et de sujets, de formateurs et d’apprentis, d’interlocuteurs. L’expérience vécue n’allait pas servir de référence indiscutable ni définitive, mais de point de départ. C’est à partir du bureau que l’on allait définir l’espace en général. Tous deux avaient en commun d’offrir le socle d’une ou de plusieurs rencontres. Ce que les uns et les autres ressentaient déjà comme essentiel dans leur définition partagée de l’espace apparaissait sous les traits de la rencontre. L’espace, c’est avant tout le support relativement stable d’une rencontre, en même temps que l’émanation  globale de ses participants.

     

    L’importance de définir le temps ne se fit guère plus attendre. L’évidence du devenir, sous le signe duquel se plaçaient les réunions successives, allait fournir une prise commode pour écrire des mots sur le visage de toute chronologie. Le temps, c’est l’écart entre les changements provoqués par la rencontre, en même temps que son support relativement dynamique, la rencontre liant nécessairement l’espace et le temps[10], dans une vibration résultant de la fusion entre le mouvement et l’immobilité. On vit dans l’écart permanent.

     

    Les collaborateurs acquirent aussitôt la conscience de la vitesse, relevant la ponctualité des uns, le retard des autres, le fait que certains rapports ou dossiers arrivaient sur la table avant d’autres, que tel débit de paroles n’excédait pas la minute, tandis que le même débit prononcé par un collaborateur différent, ou par le même collaborateur plus fatigué ou plus serein, pouvait dépasser les deux minutes. La vitesse, en plus de la rencontre, instituait une deuxième relation nécessaire entre l’espace et le temps. Elle persuadait déjà certains qu’ils avaient trouvé en elle la clé de tout, car les sujets, plus rapides que les observateurs, montraient le devenir sous le jour d’un ralentissement ou, à l’inverse, d’une accélération. Parfois, le directeur sortait prendre l’air sur la terrasse où, face à l’océan au bord duquel se trouvait l’immeuble de sa compagnie, il se rendait bien compte que, une fois perdu dans la mer, le fleuve en ce point n’avait apparemment plus de vitesse car il n’y avait apparemment plus de fleuve. Et cette image d’absence de vitesse le menait toujours à l’identification entre la lenteur et l’accomplissement.

     

     

     

    Ce n’était pas toujours le cas. Et cette différence d’ordre contextuel représentait déjà, en soi, une difficulté pour l’équipe dans son projet d’unification. Quand un conflit survenait, les procédures de résolution de conflit aboutissaient parfois. L’obstination pouvait néanmoins prendre le dessus, auquel cas la crise avait tendance à se résoudre dans la précipitation. Les tendances existaient dans la nature comme chez les gens, non tant sous un angle anthropomorphique que sous un angle statistique. Néanmoins, en règle générale, la construction et la maturation s’accompagnaient toujours d’un ralentissement. Quand on devient, on devient plus lent. Même ceux qui s’efforcent de battre des records de vitesse deviennent plus lents. Bien sûr, les coureurs, les combattants, les entrepreneurs, les techniciens, les ouvriers, tout le monde apprend à se montrer plus rentable, plus efficace et donc plus rapide dans ses actions mécaniques. Le devenir de l’être n’en va pas moins, paradoxalement, dans le sens de la lenteur. Car qui dit ressource dit épuisement, un épuisement compensé par le perfectionnement, lequel demande une plus grande maîtrise et donc une plus grande lenteur, une décomposition préalable du geste.

     

    Au fond, l’équipe s’efforçait, tant par l’introspection que par la confrontation des idées, de réveiller des invariants universels, de trouver les éléments de concordance entre les êtres et l’ordre du monde, et tous avaient moyen et intérêt à s’entendre sur le choix d’une telle perspective. C’était le travail, autre terme clé, soit se nourrir, reconvertir et dépenser cette nourriture dans le déploiement de son corps en vue d’un but précis, se régénérer en dormant puis recommencer. Le travail au-delà de la vie, lui, renvoyait aux astres, aux planètes, aux continents, aux océans, aux îles volcaniques. Le travail, dans tous les cas, suscitait toujours tension, concentration, remue-ménage, mise à l’épreuve, usure, perte, reconstruction[11].

     

    Les formateurs se demandaient si les sujets, inconsciemment, n’avaient pas pris la voie d’une reconstruction. Ils se demandaient si une perte n’aurait pas été le préalable à leur rencontre. Pour se retrouver dans un tel état, dans une telle négation ou dans une telle multiplicité d’états, n’avaient-ils pas subi, sous une autre forme et dans une autre vie, une épreuve radicalement usante? Quand la question s’énonçait explicitement, les sujets répondaient aux formateurs qu’ils n’en avaient gardé aucun souvenir. L’investigation se déplaçait alors vers la mémoire analogique, à la fois mémoire cérébrale, mentale et psychique de l’humain, et mémoire lumineuse de l’univers.

     

     

     

    Devenir comme les managers présentait une difficulté particulière pour les conseillers, celle d’accepter l’extinction d’un feu sacré. Du moins, cette appréhension se retrouvait aussi bien dans la culpabilité empathique des uns que dans la réticence nostalgique des autres. Le feu doit demeurer. Il change simplement de forme, il s’intériorise. Le ralentissement déjà évoqué nourrit l’enveloppe de l’intériorité. Tout enseignant reste un étudiant. Même si un manager n’est pas un enseignant, même si un conseiller n’est pas un étudiant, au niveau de la formation continue, la métaphore fonctionne[12]. Les ruptures passent par la volonté, volonté de s’affirmer, de s’affranchir du tutorat vécu à la manière d’une sclérose, d’un carcan. Le feu survivrait à travers la mise en place d’un bouclier, d’une carapace inerte apparue spontanément comme signe d’un endurcissement face aux épreuves traversées.

     

    Chaque formateur pouvait ainsi se dire qu’il incarnait toujours le sujet qu’il avait été, que cette démultiplication de l’image de l’autre en face de soi, cette différenciation de plus en plus ténue entre l’être et sa trace vibratoire, demeurait plus vive et plus déterminée que jamais dans son for intérieur. Chaque entité universelle, avec l’espace-temps, avec la lenteur croissante, se pare d’une épaisseur de plus en plus consistante, l’épaisseur de l’être en accomplissement autour d’un noyau dur plus difficile à localiser dans l’espace et aussi, du coup, plus atemporel. Tous les noyaux durs se ressemblent. D’ailleurs, tous les conseillers se ressemblaient. Les managers, malgré l’homogénéité imposée par l’entreprise, affirmaient davantage des personnalités distinctes.

     

    L’ordre du jour fut, pendant une période, de remettre en cause le devenir en aval comme siège de la cérébralité décisionnaire. C’est pourtant le cas. A quel moment fait-on usage de son cerveau et de son libre arbitre, sinon dans le moment présent, soit le moment actualisé le plus avancé? Si le passé des souvenirs et l’avenir des projets, ou le passé des projets et l’avenir des souvenirs, se retrouvent dans la distance par rapport à l’instant en train de se faire et de se construire, le présent et le passé se distinguent de la projection vers l’avant dans la mesure où, contrairement à cette dernière, ils ont déjà exploité la dimension virtuelle du monde dans une pratique, laquelle, en tant qu’acte, correspond aussi à une actualité. L’actualité du passé comme du présent réside dans la trace laissée, qui peut survivre et qui survivra un certain temps.

     

    En tant qu’ils incarnent virtuellement le futur plus que quiconque, les derniers remparts du noyau dur, au stade primal où il n’y a rien d’autre autour d’eux, prennent la décision d’aller de l’avant au même titre que le fera leur version plus accomplie. C’est donc toujours cette dernière qui, de préférence, portera le relais du libre arbitre. Il n’y a pas de hasard en l’occurrence si une espèce vivante dotée, pour chaque individu, d’un système central capable de commander à la fois les fonctions motrices de base, la pensée, le langage, la technologie, la civilisation et tant d’autres facultés, même partiellement, émerge à un âge relativement avancé de l’univers. Elle témoigne d’une réflexivité moins probable au moment d’une explosion originelle présumée, d’une température astronomique, d’étoiles gigantesques précédant la formation des premiers ensembles galactiques. L’analyse arrive après.

     

     

     

    Le problème de l’anthropomorphisme se posa dans la foulée. Il fut reproché d’humaniser la nature, de prêter une intelligence aux étoiles comme on fait sourire des lions ou des gazelles quand on les dessine pour faire plaisir aux enfants[13]. Il fallut crever cet abcès aussi, par les procédés laborieux mais gratifiants de la raison, en contre-argumentant avec une patience amenuisée par les effets du surmenage. Les équipes consacraient tant d’énergie, tant de matière stimulante, à l’accomplissement de ce projet, qu’ils se mettaient en position de perdre leur calme ou d’en prendre tout du moins le risque. La rationalité sauva toutefois son honneur.

     

    Premièrement, les humains font partie de l’univers. On ne peut étudier l’univers à la fois globalement et dans le détail, mais au stade des généralités, qu’elles soient préliminaires, conclusives ou spéculatives, la prise en compte de l’espèce observant l’univers comme faisant partie intégrante de ce dernier mérite une attention sérieuse, eu égard non tant à l’importance à la fois dérisoire et démesurée de l’humain qu’au fait que l’évolution humaine s’inscrit dans un processus où elle a hérité d’un certain nombre de lois structurelles, structurantes et préexistantes. Toute espèce vivante apparaît comme la jeune branche d’un vieil arbre univers. Il reste toujours des pistes transversales, pas forcément unificatrices d’ailleurs, à explorer entre physique, biologie et psychologie, comme une invitation, toute religion mise à part autant que respectée, à enquêter sur les racines naturelles de l’intelligence telles que le savant pourrait les observer. Même si l’on n’est pas croyant au sens religieux ou déiste du terme, on peut toujours déceler une cohérence dans le monde, avant de s’en émerveiller poétiquement.

     

    Deuxièmement, on a reconnu que le chercheur avait une influence plus ou moins importante sur les conditions de l’expérience, allant de sa seule présence perturbatrice jusqu’à l’aveuglement idéologique voire politique, créant de façon artificielle les conditions favorables aux résultats que ce chercheur souhaite obtenir. Pire, on déploierait parfois des moyens considérables pour affirmer ce que le grand public, lui, n’a pas les moyens d’interroger jusqu’au bout en termes de mystification ou de vérité. Plutôt que d’adhérer à un crédo scientifique perverti comme, en d’autres temps, les populations adhéraient à une religion pervertie, il vaut mieux user de métaphores en les assumant telles quelles et en reconnaissant leurs limites. Ainsi, comme plus haut, de l’observateur/macrocosme/présent face au sujet/microcosme/passé.

     

     

     

    La métaphore avait aussi des aspects contradictoires assumés. Les uns et les autres acceptèrent de les passer rapidement en revue, histoire de faire le point. Déjà, on pouvait se demander qui étaient vraiment les formateurs et les apprentis. Les premiers semblaient avoir à apprendre des deuxièmes plus que les deuxièmes ne semblaient avoir à apprendre des premiers. Face aux observateurs, les sujets représentaient l’impulsion première, l’alpha et l’oméga de toute chose, flamboyants, presque irréductibles. Sans les sujets, les observateurs n’avaient aucune raison d’être. Autrement dit, si le noyau dur n’avait pas existé, il n’y aurait jamais eu non plus d’éminence grise après coup. Les besoins de cette image de grand écart littéraire, quelque part entre physique théorique et psychologie managériale, imposent par conséquent de dissocier la substance originelle de l’instance décisionnaire ou (pour couper court à toute résurgence d’accusation au sujet d’un éventuel anthropomorphisme) du résultat d’un grand chambardement cosmique, lequel résultat, en tant que tel, pèserait sur la suite des événements tout autant que le ferait, à son échelle et dans son contexte, un décideur au sein d’une équipe attentive à ses ordres.

     

    Ensuite, les noyaux durs incarnaient à la fois l’éternelle jeunesse de l’inusable et la vieillesse définitive des anciens. Qu’un individu regarde en arrière dans sa vie, et il s’apercevra d’une curieuse répartition des rôles entre ce qu’il a été et ce qu’il est devenu. Considérant son identité actuelle de manière isolée, plutôt synchronique, sur une courte période récente, avec des limites fixées entre telle et telle dates pour telle ou telle raisons plus ou moins personnelles, il verra en effet que celui qu’il persiste à être en toile de fond depuis sa naissance relève aussi bien, selon le point de vue adopté plutôt diachronique, de l’aîné de son moi actuel que de son passé juvénile[14]. C’est cette dualité qui contribue à caractériser l’adulte, à la fois son propre parent et son propre enfant[15], ou le vieil univers, à la fois père et fils des atomes et des particules. Quant à la vitesse, il y avait urgence à repréciser que la lenteur des grands, qui chutaient vite, et la vitesse des petits, qui n’étaient pas les moins lents, ne devaient pas faire oublier les longues distances parcourues en un rien de temps par la plus rapide de tous, la lumière.

     

     

     

    Entre midi et deux, le directeur, seul dans la salle de réunion, s’était endormi. Dans ses rêves, la vision d’une femme angélique et ténébreuse lui apparut, écartant les nuages gris et lourds pour se frayer un passage jusqu’à lui depuis le ciel. Soudain, il fut réveillé par un tremblement de terre. Les vitres se brisèrent. Ses collaborateurs accoururent pour l’emmener avec eux. Ils voulurent se partager les ascenseurs, mais aucun ne marchait car il y eut une coupure d’électricité. Tandis qu’ils prenaient la fuite pas l’escalier, les murs tremblaient de plus en plus fort. L’immeuble finit par s’effondrer avant qu’ils eurent le temps de sortir, et les observateurs moururent sous les décombres, laissant les sujets pour uniques survivants, et les ruines de l’immeuble comme seule trace de leur passage.

     

    Les apprentis réalisèrent alors à quel point ils étaient différents, par nature, de leurs formateurs, alors qu’ils s’étaient jusque-là attachés à ne voir entre les uns et les autres que les similitudes. Malgré leur tristesse, sans même attendre l’accalmie des éléments déchaînés, parmi lesquels ils se sentaient chez eux, rien ne les empêchait plus de traverser l’océan à la nage ni d’aller en peupler l’abysse la plus profonde. Ils se savaient quasiment éternels et invincibles, aussi vieux que l’univers, comme les dieux de la mythologie ou du polythéisme[16]. Ils pouvaient même se frayer un passage jusqu’au centre de la Terre. Partout où ils iraient, ils s’adapteraient. Décomposés, ils se recomposeraient et continueraient ainsi à exister sans déplorer une perte toujours compensée.

     

    Les unis n’étaient déjà plus. Le peuple des petites sphères se reforma entièrement. Les survivants des grandes sphères, quant à eux, faisaient le deuil de leurs semblables. D’aucuns, de part et d’autre, parmi ceux qui avaient toujours hésité, n’avaient pas dissipé tous leurs doutes au sujet d’une possible unité ou unification. Car enfin, ces sujets qui avaient survécu, n’étaient-ils pas destinés à devenir observateurs à leur tour? En un instant donné, certaines particules restent libres, d’autres contribuent plus solidement à la complexité des structures universelles, comme s’il y avait formation sans transition.

     

    D’autres encore, toujours de part et d’autre, eurent l’idée que s’il existait des liens, des cordes susceptibles d’unifier les deux peuples, ces cordes, quelque part au sein de dimensions cachées[17], devaient être si petites que même les plus petits habitants des petites sphères ne pouvaient les voir ni les sentir. Faute d’être en mesure de vérifier cette idée par des observations, leurs auteurs avaient produit un nouveau mystère, un nouvel objet de fascination.

     

     

     

    Le temps passa. Il n’y avait plus ni séisme ni orage. Le ciel était redevenu bleu. Assis sur un banc face à l’océan, non loin de l’immeuble en ruine, un promeneur méditait sur cette histoire. Il n’était pas scientifique mais, doté d’un esprit curieux, s’intéressait à différents domaines. Les savants n’ont-ils pas eux-mêmes la tentation de sortir de leur champ d’étude pour énoncer, au nom de ce dernier, sans même se rendre compte à quel point ils s’égarent parfois, des théories voire des certitudes alors qu’ils ne font plus de la science mais empiètent sur la philosophie, sur la littérature et sur la pensée en général[18]? S’adonner ainsi à la physique théorique équivaut à renoncer à l’expérience, pourtant fondamentale dans toute science et, cela, il n’y a pas besoin d’être scientifique pour le savoir[19]. Plus absurde encore, la construction d’un accélérateur de particules pharaonique[20], si elle portait certes le projet de revenir à l’expérience, ne contredisait pas les errances de la physique théorique. Elle manifestait plutôt le désespoir de cette dernière[21].

     

    La pensée en général, la pensée de l’individu face à la complexité du monde, devait reprendre ses droits. La civilisation déclinait malheureusement. Au lieu de se battre légalement pour défendre leur bien légitime, les individus se voyaient incités à passer docilement dans le camp de l’ennemi, celui des agents sociaux, des sociocrates, de la sociocratie, de la propagande durkheimienne, de l’aliénation que constitue la mise en commun forcée par la confiscation tacite, arrivant à la destruction des identités. Envers et contre le droit, l’humiliation et la soumission gagnaient du terrain tous les jours. Il ne fallait pas se résigner. Il fallait continuer à lutter. A cette fin, le plébiscite des citoyens envers l’ordre légal apparaissait comme leur meilleur allié. La population avait la possibilité de bénéficier en toute quiétude d’une liberté plus grande que l’idée qu’elle s’en faisait, et cette liberté incluait la liberté de penser. Il y avait certes d’autres priorités que celle qui consistait à remettre en cause l’autorité factice des équipes scientifiques corrompues par la politique, surtout dans un domaine aussi abscons que la physique théorique. Justement, la physique théorique n’était pas une priorité pour le monde en l’état. Tant mieux si quelqu’un prenait la parole pour dire que l’argent dépensé aurait été mieux employé ailleurs, et que les savants se moquaient de leurs lecteurs à coups d’affirmations fumeuses, de flambages médiatiques.

     

     

     

    Qu’aurait-on pu faire de mieux avec les milliards investis? Par exemple, contribuer à lutter contre la faim dans le monde. Malgré la surpopulation humaine engendrant une pénurie de ressources, problème qu’il faudrait résoudre par des mesures politiques en amont dans l’intérêt même de l’humanité ainsi que, prioritairement, de l’écosystème dans l’ensemble, il ressort, d’après le Programme Alimentaire Mondial, qu’il reste encore assez de nourriture pour que tout le monde soit correctement nourri. Cependant, toujours selon le même organisme,  "une personne sur neuf n’a pas accès à une nourriture suffisante pour être en bonne santé et mener une vie active" (source: site web du PAM). Dans une économie mondialisée, est-il légitime que des chercheurs bénéficient de crédits dans un domaine qui n’apporte rien au monde, pendant que 805 millions de personnes souffrent de sous-alimentation, de malnutrition[22] et d’émaciation, plus sujettes à des virus tels que l’Ebola qui sévit en 2014? La réponse est non. C’est toute une gestion qu’il faut revoir. Autres exemples à privilégier, en guise de rappel: soutenir les programmes de reforestation, ou de dépollution de l’eau. Rien ne sert d’aspirer aux étoiles ni aux atomes quand c’est la Terre qui souffre et qui a besoin de soins.

     

    Les physiciens estiment que s’ils se basent sur deux modèles pour expliquer l’univers et que ces deux modèles ne concordent pas de manière parfaite, il y a lieu de continuer les recherches, comme si l’univers était parfait. Ont-ils seulement envisagé l’idée que si l’humanité n’arrivait jamais à une explication parfaite du grand tout, la cause en était l’imperfection globale des faits observés[23]? Quant à l’opportunité d’élaborer des prédictions[24], elle n’empêchera pas une météorite de frapper. La science continue à tourner à vide. Qu’elle demeure indépendante des objectifs politiques et financiers quand ces derniers s’exercent au détriment de la marge de décision dont les acteurs compétents devraient bénéficier dans leur domaine au nom de leurs compétences, ou plutôt qu’elle redevienne indépendante si tant est qu’elle l’ait jamais été[25]. Mais faire fi des besoins prioritaires de la planète pour se cacher derrière ses privilèges, tout en prétendant œuvrer au progrès global et en prenant plaisir à se médiatiser, c’est mentir au public. Dans ces conditions, un docteur en sciences a le même pouvoir de nuisance qu’un politicien. Ils sont faits pour s’entendre. 

     

     

     

    Le promeneur, assis sur son banc, avait une balle de tennis entre les mains et la faisait parfois rebondir sur le sol avant de la rattraper. Il pensait, à son niveau, coûter moins cher que certains physiciens, avec un rendement identique. Il avait vaguement entendu dire que, à l’échelle des atomes, on pouvait obtenir des effets plus destructeurs. Cette vague idée signifiait qu’il avait eu la chance de ne pas connaître Hiroshima et Nagasaki en 1945, ni Tchernobyl en 1986, ni Fukushima en 2011. Parfois, en évitant le terrain, on évite aussi les accidents, et ce que l’on perd en connaissance, on le gagne en confort. Seule son imagination lui faisait entrevoir l’ampleur des dégâts, jusqu’à un aperçu de ce qui se produisait dans cette partie du monde dont même les microscopes ne suffisaient à donner une image claire, avec des répercussions funestes chez les vivants quand ces derniers allaient trop loin dans leur volonté de percer les secrets de la nature. L’exemple n’était certes pas le meilleur, puisque le nucléaire servait aussi à s’éclairer, à se chauffer. Il le confortait même dans l’idée qu’unifier les modèles n’apporterait rien de plus à la sécurisation des centrales.

     

    D’autres images lui vinrent à l’esprit, imparfaites bien sûr, puisque métaphores et comparaisons ne valent généralement que pour un nombre limité d’aspects des deux termes. Sa balle de tennis aurait été remplacée par une autre balle, à la fois plus rapide et capable de briser le sol en retombant, de provoquer un nouveau séisme, de balayer définitivement les ruines de l’immeuble derrière lui. La violence existait autour de lui, plus que ne nul ne l’aurait souhaitée, mais pas à ce point. Il y avait, parmi les êtres et les objets qu’il pouvait voir, entendre, sentir, une limite aux conséquences que les actions des uns avaient sur celles des autres, une limite tranquille et bien gardée, aussi tranquille et bien gardée qu’une balle de tennis rebondissant sur le sol et retombant dans la main du lanceur. Il semblait que, plus on allait vers les atomes, moins cette limite valait. Lui n’en avait aucune connaissance, puisqu’il n’avait jamais eu l’occasion de devenir plus petit pour explorer les recoins microscopiques du trottoir où se trouvait son banc. Il regardait la mer et se disait qu’elle ressemblait à l’espace et au temps, telle une vaste plage aquatique en mouvement perpétuel, et qu’une balle de tennis troublant sa surface par temps calme aurait des allures de planète ou d’étoile. 

     

    Il passa ainsi en revue les situations où sa balle, une planète et une étoile auraient interagi avec l’espace et le temps. Il aurait pu y consacrer sa vie, car c’était pratiquement le cas sans arrêt, au rythme non pas d’une cadence infernale mais d’une causalité naturelle. Cela fonctionnait aussi, bien sûr, avec d’autres objets que sa balle. Dans son sac à dos posé à côté de lui sur le banc, il sortit un bloc-notes dont il détacha une feuille de papier. Il récupéra également un tube d’aspirine et quelques pièces de monnaie. Il posa la feuille sur ses genoux, disposa les pièces de différentes tailles près des bords de la feuille. A chaque fois qu’il mettait le tube d’aspirine au centre de la feuille, celle-ci se déformait, se pliait et toutes les pièces tombaient vers le tube. Evidemment, l’idée d’une déformation de l’espace et du temps ne manquait pas d’incongruité, surtout dans sa comparaison avec une feuille de papier. Mais les savants les plus réputés de l’Histoire en étaient arrivés aux mêmes conclusions. Sans souscrire à l’argument d’autorité, la complexité donnait ici raison à la simplicité. La vitesse des pièces dans leur chute accréditait la pertinence de définir la feuille de papier comme un espace-temps, et la masse (celle d’une balle tennis, d’un tube d’aspirine ou de n’importe quoi d’autre) comme la cause de la déformation de cet espace-temps.

     

    Il supposa raisonnablement, comme d’autres l’avaient fait avant lui, que plus la vitesse des pièces dans leur chute était grande, plus l’objet central devait être massif. De là à appréhender la masse comme une cause, le fil du raisonnement présentait l’intérêt d’étudier les phénomènes par la relation qui les unissait, de partir de la structure pour en arriver à l’élément isolé. D’où, d’ailleurs, une différence fondamentale avec les êtres vivants, surtout quand la notion de personnalité entre en compte, enjoignant le chercheur à s’intéresser d’emblée aux spécificités autant qu’aux interactions, alors que la physique admettrait plus facilement, a priori, des expérimentations différentes en raison de leur point de départ. Si la Lune avait un libre arbitre et une personnalité, peut-être refuserait-elle de tourner autour de la Terre. Plus probablement, cela n’y changerait rien, car le rapport de force entre prise de décision et lois de la physique tend à basculer en faveur de ces dernières, en partie à cause de leur préexistence et du déterminisme qu’elles imposent de ce fait. Bref, aussi loin que portait le regard du promeneur vers les grandeurs, la gravitation confirmait son universalité.

     

     

     

    S’il envisageait la gravitation non seulement comme une force mais aussi comme un système, soit la structure dynamique des rapports entre espace, temps, vitesse, objets, masse et énergie (ou consommation de matière liée à la force et adaptée aux besoins dynamiques du système), l’idée de fonction, de rôle l’interpellait avec insistance. Là où d’autres ne voyaient rien que projection humaine dans cette terminologie, il décelait au contraire le terreau de ce qui, depuis les grands mouvements célestes, avait fini par favoriser le besoin, la fonction et le rôle à l’échelle du vivant et de l’humain. Depuis la formation d’un système solaire jusqu’à l’apparition d’espèces intelligentes, le schéma intentionnel[26] découlait indirectement de certains schémas physiques récurrents, l’un des chaînons manquants entre physique et psychologie étant bien sûr le cerveau, à la fois objet d’étude et siège de la pensée qui étudie[27]. De cette façon, sans devenir dupe d’aucune projection, et même s’il s’appropriait les termes au-delà d’une rigueur scientifique à laquelle il n’était pas tenu puisque son propos n’était pas scientifique, il ne perdrait jamais de vue l’interaction entre l’observateur et le système. Du reste, l’appropriation des termes était sans doute l’une des clés d’un dialogue, d’un rapprochement toujours à élucider entre physique et phénoménologie[28] de la conscience du temps[29].

     

    Rien de ce qui est contenu dans un univers ne peut être totalement dissemblable de la totalité désignée. Cela n’implique pas forcément une quelconque théorie d’unification mais, de même que l’on retrouve eau et sel dans la goutte comme dans la mer, de même les termes de besoin, de fonction et de rôle font sens à toute échelle si l’on a pu identifier des systèmes aussi bien dans des galaxies que dans des cerveaux. Il existerait un sens commun aux termes scientifiques et aux termes courants, surtout quand on évoque la perspective d’un univers qui n’épuise pas immédiatement toutes ses ressources mais qui, au contraire, consume le temps dans l’expansion. Il y aurait un terrain pro-intentionnel, susceptible d’apporter des éléments significatifs tant à l’aune des objets que des sujets, efficace à la fois dans l’absence d’intention (le non-vivant), dans le potentiel d’intention (le vivant) et dans l’intention réalisée (l’esprit)[30]. La gravitation se retrouve dans la plus grande répartition possible d’un même effort, dans un affaiblissement progressif qui amène l’apaisement au sein des grandes contrées universelles.

     

     

     

    Il se posa la question de ce qu’il devait faire s’il voulait aller dans le sens des lieux les plus microscopiques et les plus inaccessibles de son monde. Il avait pensé, tantôt, à devenir plus petit. Or, comment devient-on plus petit, sinon en se repliant sur soi? Le repli sur soi, voilà qui pose un autre problème, celui du devenir précédemment évoqué. Si l’atome était un repli de l’univers sur soi, alors l’univers irait dans le sens non pas de l’expansion mais de la réduction. En fait, il faut poser les termes autrement, sans oublier que l’on essaie soi-même de se mettre à la place de ce qui précède le sujet et la conscience de son corps. Car l’atome précède la molécule, qui précède la cellule, qui précède l’organisme, dans la mesure où la simplicité précède la complexité. Quand il se recroquevillait sur son banc, parce qu’il faisait froid, le promeneur ressemblait au fœtus qu’il avait été jadis, plus proche de par sa posture de la frontière entre le non-vivant et le vivant, entre l’absence d’intention et le potentiel d’intention. Eu égard à la convergence entre le vivant et la mort, la posture recroquevillée se ferme en-deçà et au-delà de la vie, en cela semblable aux atomes, départ et retour.

     

    Fait essentiel, il survivait. Le froid matinal n’était que passager. L’après-midi, peut-être même irait-il se baigner. Survivant, donc plus fort, ne bénéficiait-il pas d’une force supérieure dans sa position fœtale? Quand il allait à la piscine, il pouvait sauter du haut d’un plongeoir, ce qu’il ne pouvait faire à la mer. Or, dans quelle posture provoquait-il le plus d’éclaboussures en plongeant? Dans celle de la bombe, évidemment. Ce qui, dans un certain contexte induisant le besoin de se protéger, passait pour une faiblesse, se révélait au contraire comme une force dans un autre contexte, où la même posture fœtale déployait son potentiel offensif. Il venait de faire un pas vers l’atome.

     

    De ce point de vue, la pluralité des forces dans l’univers, du plus petit groupe au plus grand et vice versa, ressemble aux différents degrés d’une même force, préalablement définie comme un ensemble dynamique d’éléments susceptibles d’entraîner un déplacement ou un changement dans un environnement donné. Au plus proche des particules identifiées comme les éléments primordiaux de l’univers, on rencontre une force plus grande car plus concentrée. Au plus loin de ces mêmes particules, dans la dilution, la force universelle tend plutôt vers l’harmonie.  

     

     

     

    Le pourquoi de la gravitation, lui, posait un problème persistant, même après avoir déblayé le terrain de la projection psychologique comme dans les pages précédentes. Il risquait en effet d’excéder les limites des notions pro-intentionnelles pour atteindre la lisière de la croyance théologale, alors qu’il ne s’agissait initialement que de reformuler le débat de la physique théorique du point de vue des mots et de leur signification. Il importait donc de préciser que la pro-intentionnalité limiterait le pourquoi à des considérations basiques de fonctionnement au stade ultime. On ne se demande pas comment ça marche en assimilant l’univers à une machine fabriquée par l’homme, mais on se pose quand même la question afin de formuler des lois générales. On ne se demande pas pourquoi c’est fait en assimilant l’univers à une création divine, ce qu’il est peut-être[31] ou pas (c’est une autre question), mais on se pose quand même la question afin de décrire un résultat probable ou certain[32].

     

    L’interrogation porte sur le point final vers lequel tend toute gravitation, point final envisagé, par-delà l’objet de la physique, comme le signe de ponctuation concluant le texte de la grammaire universelle. On sait que les étoiles ne sont pas des mots, mais même les scientifiques, en plus des signes mathématiques, se servent aussi des mots pour communiquer leurs hypothèses, leurs théories, leurs résultats et leurs discussions quand ils parlent des étoiles[33]. Les mots forment une base, un socle accessible aux savants, aux philosophes, aux poètes et au grand public en général. C’est dans cet esprit métaphorique, le même depuis le début, qu’il convient d’admettre la possibilité d’un lexique, d’une syntaxe et d’une sémantique des objets de la physique[34]. L’important, c’est de comprendre que le point final de la gravitation n’est pas celui des particules, et que de ce fait il n’y a pas lieu de s’investir dans l’unification. Si l’on reprend la balle de tennis posée au centre, la feuille de papier pliée, les pièces de monnaie qui tombent, et que l’on se demande quel résultat on a vraiment obtenu, on voit certes un ensemble d’éléments plus concentré qu’auparavant au creux de la courbure, mais l’on assiste surtout au retour à une certaine stabilité. La force de gravitation stabilise des éléments (planètes, balles de tennis, pièces de monnaie) composés d’atomes et de particules qui, eux, ne sont pas directement concernés par cette stabilisation. Sauf destruction, les composants restent à leur place.

     

    La stabilité s’installe au prix de la déformation et donc de l’irrégularité de l’espace-temps, c’est entendu. Cette irrégularité correspond à une différence de répartition. Encore une fois, personne n’affirme que cette répartition procède d’une volonté supérieure. Elle ressemble davantage, à vrai dire, au résultat d’un accident, d’un hasard, d’une complexité de causes difficiles à identifier. Toujours est-il que les objets, qui partagent au moins cette propriété avec leur espace-temps, champ d’interactions où l’on mesure des écarts, se forment, se déforment et se reforment. De même, la force universelle ou les forces universelles se répartissent différemment, liées à l’espace-temps et aux objets[35].

     

    Mais c’est sur le temps qu’il faut insister. Car que fait-on depuis le début? On parle d’un avant et d’un après. Au bout des interactions, c’est à la nature profonde des choses que l’on accède, nature profonde telle que définie par un processus génétique inscrit au cœur de l’histoire universelle, de ses ensembles stellaires, de ses planètes et de ses règnes vivants. Or, que sont, par nature profonde, les atomes et les particules à l’aune de l’émergence des corps galactiques ou biologiques? Ils en incarnent les prémisses, le commencement. Même si l’on ne peut les voir en soi ou hors de soi, toute chose perceptible ou même imperceptible chez soi résulte de ces éléments que l’on nommait plus haut le peuple des petites sphères. Toute expérience de rapprochement entre les échelles, aussi spectaculaire ou destructrice soit-elle, ne sera jamais qu’un effet, qu’une conséquence.

     

     

     

     

     

     


     

    Notes de fin du chapitre 10 (2014-2015)

     

     

     

    [1] "Il semble qu’il y ait trois possibilités: 1) il y a effectivement une théorie complètement unifiée, que nous découvrirons un jour si nous nous montrons assez malins pour cela; 2) il n’y a pas de théorie ultime de l’univers, juste une suite infinie de théories qui décrivent l’univers plus ou moins précisément; 3) il n’y a pas de théorie de l’univers; les événements ne peuvent être prédits au-delà d’un certain point et arrivent au hasard et de manière arbitraire." (Hawking, p. 209)

     

    "Ce besoin d’unification et de cohérence, cette nécessité de rechercher la mélodie cachée, est une exigence de l’esprit humain. Face au monde qui nous entoure, nous conjurons notre anxiété, notre angoisse des vides infinis en l’organisant et en lui prêtant un visage familier." (Xuan Thuan, p. 12)

     

    "Cette nostalgie d’unité, cet appétit d’absolu illustre le mouvement essentiel du drame humain. Mais que cette nostalgie soit un fait n’implique pas qu’elle doive être irrémédiablement apaisée. Car si, franchissant le gouffre qui sépare le désir de la conquête, nous affirmons avec Parménide la réalité de l’Un (quel qu’il soit), nous tombons dans la ridicule contradiction d’un esprit qui affirme l’unité totale et prouve par son affirmation même sa propre différence et la diversité qu’il prétendait résoudre." (Camus, pp. 32-33)

     

    "D’ailleurs, l’Esprit "n’obtient sa vérité qu’en se trouvant soi-même dans le déchirement absolu". Car, encore une fois, l’Esprit est le Réel révélé par le Discours. Or le Discours naît dans l’Homme qui s’oppose à la Nature, ou qui nie: dans la Lutte, le donné animal qu’il est lui-même, et par le Travail, le monde naturel qui lui est donné. C’est de ce "déchirement" du Réel en Homme et Nature que naissent l’Entendement et son Discours, qui révèlent le Réel et le transforment ainsi en Esprit." (Kojève, p. 643)

     

     

     
     
     

    [2] "On se rend compte qu’il est très difficile de concevoir une théorie qui décrive l’Univers d’un seul coup. A la place, on choisit de morceler le problème et d’inventer un certain nombre de théories partielles; chacune d’elles décrivant et prédisant une certaine classe limitée d’observations, négligeant les effets de quantités autres, ou les représentant par de simples séries de nombres." (Hawking, p. 30)

     

    Les physiciens pourraient se contenter d’une vision brisée de l’univers mais, par conformisme cosmologique, ils s’obstinent à patauger dans la matière noire, où leur quête d’unité s’enfonce avec eux (Science & Vie n°1171, pp. 54-72).

     

    "Le mystère de la masse invisible reste donc entier." (Xuan Thuan, p. 249)

     

     

     
     
     

    [3] "L’âme a quelque chose en elle, une petite étincelle de la discursivité qui jamais ne s’éteint, et c’est dans cette petite étincelle que l’on pose l’image de l’âme comme dans la partie la plus élevée de l’esprit; et il est aussi en nos âmes un connaître orienté vers les choses extérieures, à savoir le connaître sensible et d’entendement, qui est selon la ressemblance et selon le discours, ce qui nous cache cela." (Maître Eckhart, pp. 590-591)

     

     

     
     
     

    [4] "La Pensée (la théorie) sait que le morcellement signifie la mort. Elle préfère cette issue au joug d’un nouveau maître." (Guillon, p. 299)

     

     

     
     
     

    [5] "Mais pourquoi sommes-nous donc étonnés? Sans doute d’abord à cause des échelles, l’échelle du temps bien sûr, cosmique et géologique, immensément longue par rapport à celle d’une vie d’homme, échelle de ce que l’on nomme aussi, et ce n’est pas innocent, l’"infiniment petit" et l’"infiniment grand". Dans chaque noyau microscopique de chacune de nos cellules, chacun de nos 46 chromosomes compte 3,5 milliards d’atomes. Il y a 150 milliards de soleils dans la Voie lactée, une galaxie parmi les milliards de galaxies de l’Univers." (Coppens, pp. 79-80)

     

     

     
     
     

    [6] "D’une manière ou d’une autre, les photons, bien qu’étant des particules, possèdent aussi certaines caractéristiques ondulatoires de la lumière." (Greene, p. 175)

     

    "Bien que nous n’ayons décrit que le cas des électrons, des expériences du même type mènent à la conclusion que toute la matière a un aspect ondulatoire." (ibidem, p. 178)

     

     

     
     
     

    [7] "Le principe général de la théorie de la relativité restreinte est contenu dans le postulat suivant: les lois de la physique sont invariantes par les transformations de Lorentz (lors du passage d’un système inertiel à n’importe quel autre système inertiel). Il s’agit là, pour les lois de la nature, d’un principe restrictif comparable au principe restrictif de non-existence d’un perpetuum mobile qui est à la base de la thermodynamique." (Einstein, p. 196)

     

    "Avec le groupe de la relativité générale, on a pour la première fois une situation où la plus simple des lois invariantes n’est ni linéaire, ni homogène par rapport aux variables et à leurs dérivées. Ce fait est d’une importance fondamentale, pour la raison suivante. Si la loi du champ est linéaire (et homogène), la somme de deux solutions est aussi une solution; c’est le cas par exemple pour les équations de Maxwell dans le vide. Dans une telle théorie, il n’est pas possible de déduire, en partant de la seule loi du champ, l’interaction entre des entités qui, lorsqu’elles sont isolées, sont représentées par des solutions du système. De là vient que les théories aient jusqu’à présent comporté, à côté des lois du champ, des lois particulières régissant le mouvement des entités matérielles soumises à l’influence du champ considéré. Il est vrai qu’au tout début de la théorie relativiste de la gravitation, la loi du mouvement (ligne géodésique) était postulée indépendamment, à côté des lois du champ. Mais il est apparu plus tard qu’il n’était pas nécessaire (ni possible) de supposer la loi du mouvement de façon indépendante et que cette loi était implicitement contenue dans la loi du champ de gravitation. On peut se faire une idée intuitive de cet état de choses fort compliqué de la manière suivante: un point matériel unique et au repos est représenté par un champ de gravitation, lequel est partout fini et régulier, sauf à l’endroit où se trouve le point matériel et où le champ possède une singularité. Si, en intégrant les équations du champ, on calcule le champ associé à deux points matériels au repos, on voit que celui-ci possède, outre les singularités à l’endroit des points matériels, une ligne de points singuliers reliant les deux points matériels. Il est cependant possible d’imposer aux points matériels un mouvement tel que le champ de gravitation qu’ils déterminent ne soit jamais singulier en dehors des points matériels. C’est précisément ce mouvement-là que décrivent en première approximation les lois de Newton. On peut donc dire que les masses se déplacent de façon à ce que les équations du champ n’impliquent aucune singularité dans l’espace en dehors des masses elles-mêmes. Cette propriété des équations de la gravitation est directement liée à leur non-linéarité, laquelle est imposée par le groupe plus vaste des transformations." (ibidem, pp. 215-216)

     

    "L’Univers n’a plus une structure d’espace euclidien immuable tissé par un temps indépendant; c’est un espace-temps déformé par la présence de matière et d’énergie." (Luminet, p. 49)

     

    "C’est en effet la courbure de l’espace-temps tout entier qui permet de modéliser correctement la gravité, et pas seulement la courbure de l’espace ainsi que l’avait espéré Clifford." (ibidem, p. 223)

     

    "Tandis que les effets de la relativité restreinte deviennent manifestes pour des objets à grande vitesse, la relativité générale s’impose lorsque les corps sont très massifs et les distorsions de l’espace et du temps importantes." (Greene, p. 137)

     

     

     
     
     

    [8] "La vitesse de la lumière est une grandeur qui intervient en tant que constante universelle dans les équations de la physique. Mais, si on prend comme unité de temps, non plus la seconde, mais le temps que met la lumière pour parcourir 1 cm, la vitesse de la lumière n’apparaît plus dans les équations. En ce sens, on peut dire que cette constante n’est qu’une constante universelle apparente." (Einstein, pp. 199-200)

     

     

     
     
     

    [9] "Dans toute théorie complète, il y a un élément correspondant à chaque élément de réalité. Pour qu’une grandeur physique soit réelle, il suffit qu’il soit possible de la prédire avec certitude, sans perturber le système. En mécanique quantique, dans le cas de deux grandeurs physiques décrites par des opérateurs qui ne commutent pas, la connaissance de l’une exclut celle de l’autre." (Einstein, pp. 454-455)

     

    "Il est bien plus difficile de comprendre "viscéralement" la théorie quantique que la relativité, car il est difficile de penser comme un être miniature, qui aurait vu le jour et aurait été élevé dans le royaume microscopique. Il y a cependant un aspect de la théorie qui peut servir de balise à notre intuition, puisque c’est le sceau qui distingue fondamentalement le raisonnement quantique du raisonnement classique. Il s’agit du principe d’incertitude (ou relations d’incertitude), établi par le physicien allemand Werner Heisenberg en 1927." (Greene, p. 190)

     

    "Nous savons maintenant qu’en atténuant l’intensité de la source lumineuse nous diminuons en fait le nombre de photons qu’elle émet. Lorsqu’on n’émet plus les photons qu’un par un, on ne peut continuer de baisser la lumière sans l’éteindre. Il existe une limite quantique fondamentale à la "douceur" de notre sonde. Ainsi, en mesurant sa position, nous perturberons toujours, même très légèrement, la vitesse de l’électron." (ibidem, pp. 190-191)

     

    "Avec de la lumière de haute fréquence (courte longueur d’onde), nous pourrions focaliser l’électron avec plus de précision. Mais les photons de haute fréquence sont très énergétiques et perturbent grandement la vitesse de l’électron. Avec de la lumière de basse fréquence (grande longueur d’onde), nous minimisons l’effet sur le mouvement de l’électron, puisque les photons ont une énergie bien moindre, mais le prix à payer en est le sacrifice de la précision avec laquelle on peut mesurer la position de l’électron, d’une part, et sa vitesse, d’autre part." (ibidem, p. 192)

     

    "Le principe d’incertitude présente une limitation fondamentale à la précision à laquelle on peut déterminer simultanément les positions et les vitesses. C’est l’impasse absolue." (Susskind, p. 49)

     

    "La position et la vitesse ne sont pas les seules à obéir au principe d’incertitude. Il existe bien d’autres couples de "quantités conjuguées", selon le terme consacré, qu’on ne peut déterminer simultanément: au mieux on détermine l’une, au plus l’autre devient fluctuante." (ibidem, p. 55)

     

    "Le principe d’incertitude a eu de profondes répercussions sur la façon dont nous envisageons le monde. Même après plus de cinquante ans, ses implications n’ont pas été entièrement admises par nombre de philosophes et font encore l’objet de polémiques." (Hawking, p. 81)

     

     

     
     
     

    [10] "Une erreur couramment répandue consiste à dire que la théorie de la relativité restreinte aurait en quelque sorte découvert, en tout cas introduit pour la première fois, le caractère quadridimensionnel du continuum physique. Ce n’est évidemment pas le cas. La mécanique classique repose elle aussi sur un continuum à quatre dimensions d’espace et de temps. Mais, dans le continuum quadridimensionnel de la physique classique, les "coupes" à temps constant ont une réalité absolue, c’est-à-dire indépendante du choix du système de référence. De ce fait, le continuum quadridimensionnel se décompose naturellement en un continuum tridimensionnel et un autre unidimensionnel (le temps), de sorte que l’approche quadridimensionnelle ne s’impose pas comme une nécessité. La théorie de la relativité restreinte, en revanche, produit une dépendance formelle entre les modalités selon lesquelles les coordonnées d’espace d’une part et les coordonnées de temps de l’autre doivent intervenir dans les lois de la nature." (Einstein, pp. 196-197)

     

    "En relativité générale, les effets de la gravitation ne s’interprètent pas comme une force engendrée par les corps massifs, mais se résorbent dans la structure géométrique même de l’Univers. Cette identification entre gravitation et géométrie impose un cadre mathématique nouveau: celui d’un espace-temps à quatre dimensions, pourvu d’une métrique non euclidienne." (Luminet, p. 293)

     

     

     
     
     

    [11] Ad nauseam, plus qu’une locution: une devise, une méthode.

     

     

     
     
     

    [12] "Chacun sait que, en accroissant leur qualification, les enseignants gagnent le droit de réduire leurs contacts avec les élèves. Mais sait-on que dans les entreprises la logique n’est pas différente? Une promotion chèrement acquise vous fait passer du magasin dans les bureaux, de la "route" au siège, bref du client présent au client lointain." (Dupuy, pp. 190-191)

     

     

     
     
     

    [13] Sauf si l’on veut justement faire plaisir aux enfants ou œuvre de fiction, nul besoin d’humaniser les autres animaux pour qu’ils éprouvent des émotions, lesquelles ne sont pas toujours spécifiquement humaines. Dans une représentation visuelle, le tort ne serait donc pas de faire sourire tel ou tel animal, mais de le faire sourire en s’inspirant du sourire humain, comme si la nature devait quoi que ce soit à l’humain de ce point de vue, comme si ce n’était pas l’inverse, et ainsi de l’altruisme.

     

    Voici ce que dit la science à ce propos: "L’empathie a longtemps été vue comme le produit d’une décision: à l’aide de son imagination, on se représenterait la situation de quelqu’un d’autre, puis l’on ferait le choix d’être empathique ou pas. Désormais nous savons, aussi bien par des études sur l’homme que sur l’animal, que c’est un processus automatique que nous contrôlons bien moins que l’on ne croyait. Et très souvent, nous sommes inconsciemment et involontairement empathiques. On trouve ce genre de tendance chez tous les mammifères: les émotions sont contagieuses, les individus sont affectés par les émotions des autres, c’est quelque chose de profond qui vient du lien entre la mère et le petit qu’elle allaite" (Frans de Waal, Science et Vie Hors-Série n° 270H, p. 96).

     

    Et voilà ce que dit, depuis longtemps, une certaine théologie ontologique, non sans lien avec ce qui a été rapporté au-dessus: "Plus noble est la chose, plus elle est commune. Le sens, je l’ai en commun avec les animaux, et la vie m’est commune avec les arbres. L’être m’est encore plus intérieur, je l’ai en commun avec toutes les créatures. Le ciel est plus vaste que tout ce qui est au-dessous de lui; c’est pourquoi aussi il est plus noble. Plus nobles sont les choses, plus vastes et plus communes elles sont. L’amour est noble, parce qu’il est commun" (Maître Eckhart, p. 84).

     

     

     
     
     

    [14] "En fait, à des degrés divers, l’actualité prolonge d’autres expériences beaucoup plus éloignées dans le temps." (Braudel, p. 32)

     

     

     
     
     

    [15] "L’homme âgé oublieux des biens passés est né aujourd’hui." (Epicure, p. 119)

     

    "Qu’on ne remette pas la philosophie à plus tard parce qu’on est jeune, et qu’on ne se lasse pas de philosopher parce qu’on est âgé." (ibidem, p. 97)

     

    "Les lois de la physique ne font pas de distinction entre le passé et le futur." (Hawking, p. 186)

     

     

     
     
     

    [16] "Enfin, grâce à la radioactivité, on peut déterminer l’âge de nombreux atomes (uranium, thorium), dont la durée de vie se mesure en milliards d’années. La méthode, bien qu’assez imprécise, nous indique qu’aucun n’est plus ancien que le cosmos." (Reeves, p. 28)

     

     

     
     
     

    [17] "Ainsi, nous découvrons avec surprise que, même si nous ne voyons que trois dimensions spatiales, le raisonnement de Kaluza et de Klein montre que cela n’exclut pas l’existence de dimensions supplémentaires, dans la mesure où celles-ci sont ultra-petites. L’Univers pourrait très bien avoir des dimensions cachées." (Greene, p. 306)

     
     
     

     

     

    [18] "Les éléments de la réalité physique ne peuvent pas être déterminés par des conceptions philosophiques a priori." (Einstein, p. 457)

     

    "Car il faut pratiquer l’étude de la nature, non pas en se référant à des propositions vides ou à des décrets arbitraires, mais à la manière dont nous y invitent les choses apparentes." (Epicure, p. 81)

     

    "Au bout du compte, les théories ne sont jugées que par la façon dont elles résistent aux dures et froides réalités expérimentales." (Greene, pp. 268-269)

     

    "Se pourrait-il que nous devions encore nous référer, pour leur valeur, aux mesures expérimentales plutôt qu’aux résultats théoriques? Et cet échec pourrait-il non pas impliquer que nous devons chercher une théorie encore plus fondamentale, mais qu’il n’y a pas d’explication à ces propriétés observées? On peut être tenté de répondre oui." (ibidem, p. 598)

     

    "Toute théorie physique est toujours provisoire en ce sens qu’elle n’est qu’une hypothèse: vous ne pourrez jamais la prouver. Peu importe le nombre de fois où les résultats d’une expérience s’accorderont avec une théorie donnée; vous ne pourrez jamais être sûr que, la fois suivante, ce résultat ne la contredira pas. Vous pouvez également réfuter une théorie en trouvant une observation unique qui ne cadre pas avec ses prédictions. Comme le philosophe des sciences Karl Popper l’a souligné, une bonne théorie se caractérise par le fait qu’elle fait un certain nombre de prédictions qui pourraient en principe être réfutées ou rendues fausses par l’observation." (Hawking, p. 28)

     

    Le reproche parfois fait à la science de déborder théoriquement le cadre de son champ d’expérience vaut aussi, bien entendu, dans l’autre sens, quand par exemple certains théologiens mal inspirés se mêlent du débat scientifique avec des arguments simplistes et invalidés. On pense par exemple au cheik Bandar al-Khaibari prétendant nier, encore, que la Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil (AFP 18/02/2015). Il devrait lire ou relire ce que des savants compétents ont écrit à ce sujet:

     

    "La grande différence entre les idées d’Aristote et celles de Galilée ou de Newton est qu’Aristote croyait en un état préférentiel de repos que chaque corps adopterait s’il n’était soumis à aucune force ou à aucune poussée. En particulier, il pensait que la Terre était au repos. Mais il découle des lois de Newton qu’il n’y a pas de norme unique de repos. […] L’absence de norme absolue de repos signifie que l’on ne peut déterminer si deux événements qui ont eu lieu à deux moments différents sont advenus dans la même position dans l’espace. […] La non-existence de repos absolu signifie donc que l’on ne peut donner à un événement une position absolue dans l’espace, comme le croyait Aristote." (Hawking, pp. 38-39)

     

     

     
     
     

    [19] "L’homme de science n’a pas seulement laissé en arrière le profane et son entendement limité, il a abandonné une part de lui-même et de son propre pouvoir d’entendement qui demeure l’entendement humain, quand il va travailler dans son laboratoire et se met à communiquer en langage mathématique." (Arendt, p. 341)

     

    "L’évidence de cette connaissance défectueuse dont les mathématiques sont fières, et qu’elles arborent du reste aussi pour plastronner face à la philosophie, ne repose que sur la pauvreté de leur fin et sur le caractère défectueux de leur matière, et ressortit donc à une espèce que la philosophie ne peut que dédaigner." (Hegel, p. 87)

     

     

     
     
     

    [20] "Grâce à d’immenses accélérateurs, les physiciens peuvent descendre jusqu’à un milliardième de milliardième de mètre. Pour sonder des distances plus courtes, il faut des énergies plus élevées et donc de plus grosses machines, capables de concentrer toute cette énergie sur une seule particule. La longueur de Planck est quelque dix-sept ordres de grandeur en-dessous de ce que nous pouvons voir actuellement. Ainsi, avec les technologies actuelles, il nous faudrait un accélérateur de la taille de la galaxie pour voir les cordes individuellement." (Greene, p. 341)

     

     

     
     
     

    [21] "Pourtant, il doit y avoir moyen de faire appel au témoignage des sens, auxquels nous n’avons recours que pour les choses sensibles, non sans quelque réserve, et à la condition qu’ils ne contredisent pas la raison. C’est à l’intelligence qu’il appartient de juger et de rendre compte des choses absentes, que le temps et l’espace éloignent de nous." (Bruno, p. 58)

     

     

     
     
     

    [22] "Or, aujourd’hui, c’est encore par milliards que se comptent les victimes de malnutrition et celles et ceux qui vivent avec moins de deux euros et demi par jour." (Diamond, p. 775)

     

     

     
     
     

    [23] "Sans l’idée d’un univers raté, le spectacle de l’injustice sous tous les régimes conduirait même un aboulique à la camisole de force." (Cioran, p. 147)

     

     

     
     
     

    [24] "Même si nous découvrons une théorie complètement unifiée, cela ne signifierait pas que nous serions capables de prédire les événements en général, cela pour deux raisons. La première, c’est la limitation que le principe d’incertitude de la mécanique quantique confère à nos pouvoirs de prédiction. Dans la pratique, cependant, cette première limitation est moins restrictive que la seconde. Cela vient du fait que nous ne pouvons résoudre les équations de la théorie exactement, sauf dans des situations très simples." (Hawking, p. 213)

     
     
     

     

     

    [25] "Faut-il vraiment que le savant accepte toutes ces formes d’avilissement? Le temps où il pouvait, par sa liberté intérieure et par l’indépendance de sa pensée et de sa recherche, éclairer et enrichir la vie des hommes est-il vraiment révolu? N’est-ce pas plutôt qu’un travail exclusivement intellectuel lui a fait oublier sa dignité et sa responsabilité? A cela je réponds que si l’on peut certes détruire un homme probe et intérieurement libre, on ne peut pas en faire un esclave ou un instrument aveugle." (Einstein, p. 144)

     

     

     
     
     

    [26] "Le texte fondateur de la notion moderne d’intentionnalité, la Psychologie au point de vue empirique de Franz Brentano, fait explicitement référence au Moyen Age: "Ce qui caractérise tout phénomène mental, c’est ce que les scolastiques du Moyen Age nommaient l’inexistence intentionnelle (ou encore mentale) d’un objet, et que nous décririons plutôt, bien que de telles expressions ne soient pas dépourvues d’ambiguïté, comme la relation à un contenu ou la direction vers un objet (sans qu’il faille entendre par là une réalité), ou encore une objectivité immanente". Née sous le signe de l’ambiguïté redoutée, la notion moderne d’intentionnalité est restée polysémique." (Libera, p. 227)

     

     

     
     
     

    [27] "Le monde est une synthèse de nos sensations, de nos perceptions et de nos souvenirs. Il est commode de le considérer comme existant objectivement par lui-même. Mais il n’apparaît certainement pas en vertu de sa simple existence. Son apparaître est conditionné par des processus très spéciaux dans des parties très spéciales de ce monde même, à savoir par certains événements prenant place dans un cerveau." (Schrödinger, pp. 191-192)

     

     

     
     
     

    [28] "La Phénoménologie est une description phénoménologique (au sens husserlien du mot); son "objet", c’est l’homme en tant que "phénomène existentiel"; l’homme tel qu’il apparaît (erscheint) à lui-même dans son existence et par elle. Et la phénoménologie elle-même est sa dernière apparition." (Kojève, p. 47)

     

    "Or, de même que pour déterminer les rapports véritables des phénomènes physiques entre eux nous faisons abstraction de ce qui, dans notre manière de percevoir et de penser, leur répugne manifestement, ainsi, pour contempler le moi dans sa pureté originelle, la psychologie devrait éliminer ou corriger certaines formes qui portent la marque visible du monde extérieur." (Bergson, p. 216)

     

     

     
     
     

    [29] "Naturellement, ce qu’est le temps, nous le savons tous; c’est ce qu’il y a de mieux connu au monde. Dès que nous cherchons pourtant à nous rendre raison de la conscience du temps, à mettre correctement en rapport le temps objectif et la conscience subjective du temps, et à parvenir à comprendre comment de l’objectivité temporelle, et donc de l’objectivité individuelle en général, peut se constituer dans la conscience subjective du temps, et même pour autant que nous cherchons seulement à soumettre à l’analyse la conscience purement subjective du temps, nous nous perdons dans les difficultés, les contradictions, les labyrinthes les plus étranges." (Husserl, pp. 3-4)

     

    "Cela pourrait induire que ce que nous nommons temps imaginaire est en réalité le temps réel, et que ce que nous nommons temps réel n’est qu’une figure de notre imagination. Dans le temps réel, l’univers a un commencement et une fin à une singularité qui forme une frontière dans l’espace-temps et auxquelles les lois se dissolvent. Mais dans le temps imaginaire, il n’y a ni singularité ni bord. Alors peut-être que ce que nous appelons temps imaginaire est-il en réalité beaucoup plus fondamental, et ce que nous appelons temps réel,  juste une idée que nous avons inventée pour nous aider à décrire ce à quoi nous croyons que l’univers ressemble." (Hawking, pp. 180-181)

     

    "Il y a au moins trois flèches du temps différentes. D’abord, il y a la flèche "thermodynamique" du temps, la direction du temps dans laquelle le désordre ou l’entropie croît. Ensuite, il y a la flèche "psychologique". C’est la direction selon laquelle nous sentons le temps passer, dans laquelle nous nous souvenons du passé mais pas du futur. Enfin, il y a la flèche "cosmologique", direction du temps dans laquelle l’univers se dilate au lieu de se contracter." (ibidem, p. 86)

     
     
     

     

     

    [30] "Le millénaire qui arrive va certainement nous permettre, en comprenant enfin la ou les manières dont procèdent l’évolution de la matière inerte et l’évolution de la matière vivante, de gérer en meilleure connaissance de cause l’évolution de la matière pensante, la nôtre, matière soumise aux lois de la biologie mais conquérante par sa connaissance cumulée, d’une certaine liberté qui ne devrait demander, naturellement ou culturellement, qu’à grandir." (Coppens, p. 51)

     
     
     

     

     

    [31] "De même que l’atomisme jugé trop matérialiste, la doctrine aristotélicienne, qui implique un temps éternel et un Univers non créé, est rejetée par les premiers théologiens du christianisme." (Luminet, p. 213)

     
     
     

     

     

    [32] "Anthropique, principe: idée selon laquelle l’univers a été réglé très précisément pour l’émergence de la vie et de la conscience." (Xuan Thuan, p. 355)

     

    "La cosmologie exerce sur nous une profonde fascination: en comprenant le comment du commencement de toute chose on espère approcher du pourquoi. Cela ne signifie pas que la science moderne établisse un rapport entre ces questions. Elle n’y prétend pas, et il se pourrait même qu’aucun rapport scientifique ne soit jamais découvert. Mais l’étude de la cosmologie promet de nous offrir la meilleure compréhension du contexte du pourquoi, la naissance de l’Univers, et cela permet au moins d’avoir une vision scientifique du cadre au sein duquel les questions sont formulées." (Greene, p. 565)

     
     
     

    "La physique ne sert pas à révéler les attributs et intentions du créateur, mais elle fournit un moyen de comprendre et contrôler la nature, en vue de dominer l’environnement selon nos souhaits." (Luminet, p. 199)

     

     

     

    [33] "La mise en mots de la science a commencé dans l’Antiquité grecque. En ce temps, les philosophes naturalistes, Démocrite, Héraclite, Platon, étaient des maîtres du langage autant que des savants." (Luminet, p. 15)

     
     
     

     

     

    [34] "Si l’atome est une lettre, la molécule est un mot." (Nicolino, p. 13)

     
     
     

     

     

    [35] "Tant que l’on accepte les concepts d’espace (ce qui inclut la géométrie) et de temps, sans les soumettre au doute critique, on n’a aucune raison d’élever des objections à l’encontre de l’idée fondamentale des forces à distance, même si ce concept ne s’accorde pas avec les idées que l’on se fait en partant de l’expérience brute quotidienne." (Einstein, p. 172)